samedi 6 juillet 2013

Nazi Rock à La Rochelle.

« Encore une fois : les mots ont l’intention qu’on souhaite leur donner. S’ils veulent trouver de l’antisémitisme dans cette pièce en sortant les propos de leur contexte, sans prendre en compte l’intégralité du texte, la façon de jouer et la mise en scène, ils trouveront de l’antisémitisme. Mais ils peuvent par les mêmes mécanismes trouver de l’anti-chinois, de l’anti-pauvre, de l’homophobie, de la misogynie et bien d’autres intentions nauséabondes. »
Extrait de la tribune publiée par les étudiants ayant monté « Une pièce sur le rôle de vos enfants dans la reprise économique mondiale » 


Le film l'Antisémite de Dieudonné repose tout entier sur une mise en abîme : Dieudonné se joue lui-même en train de tourner un film où il joue le rôle d'un antisémite fanatique.

L'antisémitisme s'y décline donc au premier et au second degré, et l'on peut parler d'art fasciste, dans la mesure où le rire nihiliste et mortifère y est plutôt bien mis en scène : dans le monde cauchemardesque du film, tout se vaut, chaque personnage se vautre dans la fange , s'adonne à des vices divers et variés, et n'exhale que la haine , le malaise et les faux semblants. Dieudonné ne s'y épargne pas lui-même, se jouant en alcoolique autoritaire et obsédé, qui interprète un autre antisémite obsédé. Dans ce cloaque où les Juifs sont incarnés par les caricatures classiques de la rhétorique antisémite , les bourreaux dont Faurisson, qui joue son propre rôle, et Ahmed Moualek qui incarne un conspirationniste assassin sont au fond absous de tout, puisqu'ils sont certes peu sympathiques , mais toujours plus que leurs victimes.

Sans nul doute, c'est ce type de « performance artistique » que les étudiants de la Rochelle avaient en tête avec leur metteuse en scène lorsqu'ils ont crée leur « oeuvre » intitulée « Une pièce sur le rôle de vos enfants dans la reprise économique mondiale » dont ils affirment aujourd'hui le haut niveau de l'humour « second degré » . Le scénario en est fort simple : une multinationale dirigée par l'héritière d'une dynastie juive achète aux parents la vie future de leurs enfants en échange d'une somme versée immédiatement.

Peut-être ces étudiants ont ils vu l'Antisémite, peut-être comme des dizaines de milliers d'autres jeunes gens de leur âge et de leur statut social, sont-ils des spectateurs hilares de Dieudonné, oscillant sans cesse entre le déni de leur antisémitisme et l'obsession anti-juive. Peut-être pas, car Dieudonné n'est que la synthèse la plus aboutie d'une culture à la fois politique et artistique qui s'est répandue comme une traînée de poudre ces dernières années. Celle du néo-fascisme triomphant, faite à la fois d'une incapacité totale à la critique et au combat contre le monde tel qu'il est et les véritables dominations qui le structurent et d'un renversement victimaire total, où l'ensemble des dominéEs devient le bouc émissaire haï et fantasmé , responsable de l'échec social des uns et des autres.

Incapacité totale à la critique du monde tel qu'il est : dans la pièce des étudiants de La Rochelle, il y a toutes sortes de dominés, des chômeurs, des salariés de la couche moyenne, des prostituées, des cadres moyens, tous décrits comme sales, imbéciles, veules, vulgaires, vénaux. Il n'y a que deux dominantEs au pouvoir absolu : la maître du monde juive et le mafieux italien, pour résumer , l'Oligarchie mondialiste et la société criminelle plus ou moins secrète. Pas de patrons ordinaires, pas de flics, pas de juges, une et une seule multinationale doublée d'une pègre caricaturale...et étrangère au pays dans lequel se déroule la pièce. …

A vrai dire les étudiantEs ont raison d'une certaine manière lorsqu'ils affirment pour se défendre que leur oligarque dévoreuse d'enfants aurait pu ne pas avoir un nom juif et que cela n'eut rien changé au message de la pièce : en effet, l'antisémitisme est une manière de voir le monde, une théorie mensongère destinée à masquer la domination de classe en substituant à la réalité de l'exploitation capitaliste de l'homme par l'homme, le fantasme d'une minuscule élite surpuissante corrompant un système économique et social sain par nature. Nos étudiants ne réalisent que l'énième personnalisation d'un mal fantasmé, qui transformerait le chouette monde capitaliste en cloaque infernal. Si la méchante Financière Juive n'existait pas , nous dit la pièce, alors le stagiaire serait titularisé, l'intellectuel rêveur serait reconnu à sa juste valeur par un poste à l'Université, et l'intermittent du spectacle aurait ses heures . Car ces trois personnages de la pièce sont les seuls ( avec le cuisinier nazi, nous y reviendrons plus tard) à être présentés sous un jour à peu près humain, avec lesquels on est invités à compatir un peu : pas étonnant, puisqu'il personnifient la catégorie sociale à laquelle appartiennent les auteurs de la pièce, ces « intellos précaires » qui furent autrefois la classe moyenne et qui aujourd'hui sont empêtrés dans la nostalgie réactionnaire du bon capitalisme de papa, celui qui assurait aux étudiants de la Rochelle un bon poste et un bon salaire.

C'est fini, alors la rancoeur de nos étudiants explose et se cherche des responsables, dans une imitation assez transparente du style célinien : les prolos, incultes, vicieux et puants qui pullulent dans leurs logis dégueulasses , la génération des parents de nos étudiants, incarnée par ce couple qui accepte de vendre son enfant aux Juifs pour se payer des vacances au soleil, allégorie transparente de l'argument mille fois rebattu par la droite et l'extrême-droite contre les prolétaires se battant pour leurs retraites et qui seraient coupables de faire peser la dette sur leurs enfants, les étrangers, comme cette Chinoise sans papiers qui n'est pas digne de la moindre solidarité puisqu'elle souhaite uniquement être riche et se faire sa place au soleil , au besoin sur le dos des prolos locaux.

Comme ce défilé de rancoeurs misanthropes est au fond assez laid et egoïste, et traduit surtout une incapacité à la moindre solidarité collective, seule capable d'engendrer un rapport de forces défavorable au capitalisme, nos étudiants en viennent forcément au délire antisémite, seul capable de travestir le conservatisme et la lâcheté en combat contre les puissants : pour faire passer le vomi qu'on vient de déverser sur les faibles, on invente un monstre ultime, l'Oligarque juive. Tiens au fait pourquoi une femme ? Tout simplement, parce que cela sert à introduire un petit discours rageur contre le féminisme, caricaturé en remplacement des élites par d'autres élites plus politiquement correctes, discours qu'on étend aux minorités en général , avec une pique contre les « présidents noirs ».

De même, les homosexuels et le mariage pour tous en prennent pour leur grade : lorsque la méchante financière juive parle de son activité de vente d'enfants, elle ne manque pas d'évoquer ( page trente) le client homo qui ne voulait que des petits enfants thaïlandais, dont l'un avec qui il se marierait ensuite. Le complot judéo-gay pour détruire la civilisation tant évoqué ces derniers mois se devait d'être évoqué.

Comme on le voit, toutes les cibles de l'extrême-droite sont donc présentes dans la pièce, toutes ses rhétoriques, mais c'est bien l'antisémitisme qui permet de les structurer dans un tout cohérent, et d'engendrer l'habituel discours d'inversion victimaire : «  Nous tapons sur les femmes, les immigrés, les pauvres qui puent, les étrangers mafieux qui viennent voler les enfants ( des Italiens ...ou des Roms ? ), les homosexuels qui veulent des enfants pour les consommer, mais nous ne sommes pas des dominants, contrairement aux apparences, nous sommes des étudiants rebelles car si nous dénonçons les faibles, c'est qu'en réalité, ils ne sont que des pions au service du puissant complot juif ».

Du Dieudonné ? En fait plutôt l'aboutissement du travail de propagande de la mouvance antisémite qui s'est structurée autour du soutien à son « humour ». Cette pièce, besogneuse, longue , redondante est finalement très convenue, et dégage une impression de conformisme absolu, tant le discours qu'elle véhicule, dans une forme très plate a été entendu et rabâché mille et mille fois ces dernières années. En ces temps où l'extrême-droite la plus virulente triomphe partout en Europe, où en France des Zemmour et des Taddei se chargent chaque semaine de faire la promotion des idées fascistes sur les télés capitalistes, où la rhétorique antisémite, raciste, sexiste , homophobe s'exprime en toute liberté, partout et tout le temps, il n'y a rien que de très banal, de très accepté socialement dans ce petit théâtre amateur, qui imite les grandes scènes à la mode....sans même la moindre trace d'auto-dérision, et donc sans le moindre « second degré », dont un néo-nazi plus original comme Dieudonné fait parfois preuve, ce qui lui vaut sa réputation d'humoriste de talent.

D'ailleurs la pièce a été montée dans le cadre de l'Université, et face aux quelques protestations qu'elle a suscité, l'ensemble de l'institution s'est solidarisée de « ses » étudiants, au nom de la « liberté d'expression ». Ceux qui sont montrés du doigt sont ceux qui dénoncent l'antisémitisme pas ceux qui le relaient, eux ont au contraire droit aux louanges de l'Université française.

C'est assez significatif d'ailleurs, dans le contexte actuel : depuis la fin des années 90, l'Université française n'est plus du tout ce lieu un peu plus libre que la société environnante, où notamment les luttes progressistes pouvaient s'exprimer. Pendant la lutte contre le CPE, puis pendant celle contre la LRU , la « fameuse » liberté d'expression a été battue en brèche pour les étudiants en lutte, traqués par la police jusque dans les campus. A chaque fois que des sans-papiers ont essayé d'occuper une université pour tenter d'y faire entendre leur parole, ils en ont été expulsés.
Alors que les cités U abritant les étudiants les plus précaires sont démolies et/ou restructurées pour être plus rentables, les autorités universitaires répriment sans trève les étudiants concernés qui résistent à la perte de leur logement.

Mais à côté de ça, nos étudiants rebelles de la Rochelle, sont eux couvés et protégés par les autorités, qui se donnent ainsi à bon compte, un air de tolérance envers la prétendue subversion de la jeunesse.

Pourtant ils sont vieux ces jeunes, comme le sont tous les fascistes, incapables de création artistique nouvelle, en revenant éternellement aux clichés millénaires de l'antisémitisme. En témoigne l'épisode des «  Juifs hassidiques » ( sic ) qui traquent le brave cuisinier nazi, puis vendent leur combat pour quelques billets. L'allusion au « Shoah business », dénoncé par Dieudonné et les siens est évidemment transparente, et justifie à elle seule les accusations d'antisémitisme.

Mais enfin, en quoi ces deux personnages étaient-ils nécessaires à la pièce , où ils arrivent comme un cheveu sur la soupe ? Il était pourtant facile d'introduire la thématique de la soit-disant instrumentalisation de la Shoah avec le personnage principal, celui de la financière juive.

On ne voit pas d'autre explication que le besoin qui anime tous les antisémites, d'exprimer leur délire hallucinatoire où toujours revient, à un moment où à un autre, la cible de la caricature nazie par excellence, avec sa barbe et ses papillotes, le «Juif Hassidique » effectivement, comme le dit expressément le script de la pièce. L'objet de toutes les humiliations , celui qu'on peut tenir par la barbe ( tu me tiens par la Shoah, je te tiens par l'ananas, chante Dieudonné dans une allusion transparente au jeu de la barbichette...). Ces deux Juifs font pièce rapportée dans le scénario, mais ils attestent de l'obsession de ses auteurs, qui n'auraient pas trouvé leur œuvre complète et suffisamment significative sans eux. ...même si dès le début de la pièce, la rhétorique antisémite est pourtant présente dans son paradoxe habituel : un des personnages faisant la morale à l'autre en lui rappelant qu'on n'a pas le droit de juxtaposer les mots « Juifs » et « riches » (p 5).

Et bien si, on a le droit de ressasser sans fin le vieux cliché du Juif comploteur , milliardaire et maître du monde: la preuve, « « Une pièce sur le rôle de vos enfants dans la reprise économique mondiale » a été faite et diffusée dans l'enceinte de l'Université applaudie par des spectateurs hilares, louée et défendue par l'administration et par une majorité des professeurs de la fac. Nos étudiants rebelles ne sont pas plus ostracisés ou persécutés qu'un Dieudonné qui prône paisiblement le négationnisme sur scène depuis des années. C'est à dire pas du tout.

Et l'antisémitisme est à ce point un conformisme installé et non discutable que toute réaction se voit taxée de « communautaire », parce qu'aujourd'hui, un bon Juif est un Juif qui ferme sa gueule devant les attaques antisémites, ce qui est d'ailleurs le cas pour toutes les minorités victimes de la même accusation dès qu'elles se défendent contre les attaques de l'extrême-droite, racistes, sexistes, ou homophobes.

Les spectacles de fin d'année sponsorisés par les institutions sont souvent des reprises fades de la culture dominante et de l'air du temps : la pièce jouée à la Rochelle n'est pas autre chose, et sa médiocrité banale en fait l'une des multiples kermesses brunes dans lesquelles communient politiciens et foules haineuses et dociles dans une France de nouveau tentée par le fascisme. 

Le livret intégral de la pièce se trouve ici: avec la boursouflure de l'égo qui caractérise aussi les gens tentés par le fascisme, les étudiantEs affirment que cette seule lecture ne saurait justifier la moindre argumentation contre la pièce , et que ne seraient autorisés à la critiquer que celles et ceux les ayant vus jouer sur scène. " "Les mots ont l'intention qu'ON souhaite leur donner" disent-ils. Mais non, les mots ont un sens, en soi, n'en déplaise aux adeptes du bon vieux rêve totalitaire de manipulation absolue du langage.