mardi 13 novembre 2012

Enquête Exclusive: Itinéraire d'un voyeurisme français



D'habitude, on en rigole d'Enquête Exclusive, de ses plongées avec la BAC contre les cambriolages ou dans le monde de la nuit des jet setteurs.

Là, on ne rigole plus.

On regarde halluciné, les photos de Merah, bébé, puis enfant défiler, puis une vidéo où il est à l'hôpital venu voir son père qu'on montre sur son lit. Et puis un classeur où Merah, jeune ado, écrivait des trucs sur les american-staff, des chiens qu'il adorait.

C'est quoi l'info , c'est quoi le message ? Qu'on doit surveiller les gamins dès l'âge de trois ans, l'islamiste est-il censé se révéler dans le regard du bébé qui rigole ?

On apprend que Merah était un gosse battu , un gosse de foyer. 10% des enfants en France sont victimes de maltraitance psychologique ou physique, selon une chercheuse de l'INSERM. Alors quoi ?

Dix fois, quinze fois, la photo de Souad Merah, qui sourit, voilée. A toi de trouver les stigmates du mal sur la photo.

Caméra cachée d'une jeune femme pleine de haine antisémite, qui hurle qu'elle est fière de son frère. C'est à peu près tout ce qu'on entendra de la discussion, et ce sera pareil avec les autres « salafistes » filmés en caméra cachée. Jamais plus d'une minute , même pour Olivier Corel, idéologue intégriste, dont on apprendra qu'il élève des chèvres et des ânes, et qu'il a « francisé » son nom. Du lourd, c'était bien la peine de faire une caméra cachée.

Le fond de l'affaire ? Attention Enquête Exclusive a des documents « inédits » à présenter, dont le testament écrit à la main de cinq pages de Merah. Mais de ce testament, le téléspectateur aura le droit à trois lignes, où il dit à Sarkozy qu'il sera puni pour ses crimes. Le reste, on n'en connaîtra rien, ou alors il faudra attendre , sans doute, qu'Enquête Exclusive ait revendu son exclu à Morandini où à Médiapart.

Ah oui, on apprend aussi que Merah s'est radicalisé en prison. La « preuve », il aurait simulé sa tentative de suicide, c'est ce qu'il a dit à sa mère qui était venue le voir à l'hôpital, « un bon musulman ne se suicide pas ». Ben oui, s'il n'avait pas déjà été un djihadiste, il aurait dit à sa mère « maman, je voulais crever », c'est évident.

Mais, qu'est ce que signifie concrètement se radicaliser en prison ? L'enquête policière en effet n'a pas démontré que Merah ait rencontré des militants derrière les barreaux, simplement qu'il s'est effectivement réfugié dans la croyance et la pratique religieuse, et qu'il avait déjà, de lui même, des discours de haine et des fantasmes de meurtres. Comment en vient-on au projet concret et réel ? Enquête Exclusive n'y répond que par l'influence du frère Kader. Mais le frère, alors , comment lui-même en était-il arrivé là ?

Pas de réponse. On apprend simplement que Merah a financé ses voyages en vendant une BMW qu'il avait retapé...pour entendre le journaliste demander dix minutes plus tard «  comment a-t-il financé ses voyages ? ». Ça, c'est une vraie question. Parce qu'on ne finance pas des voyages multiples de plusieurs mois en vendant une voiture, pas plus qu'on n'achète des armes , qu'on ne loue un appart dans un quartier résidentiel , et qu'on vit apparemment très bien juste avec un RSA. Cela ça s'appelle une logistique.

A un moment, visite à une mosquée, celle où Merah allait prier. Alors on se dit qu'enfin, on va avoir la réponse sur la radicalisation effective et les moyens du passage à l'acte, qu'on va avoir des éléments sur les groupes salafistes où Merah évoluait avec son frère.

Attention, c'est chaud, alors le journaliste filme de loin au zoom, des musulmans qui prient, avec gros plan sur des jeunes en djellaba blanche et dont on voit la barbe, malgré le visage flouté, la voix off dit «  il y a 400 salafistes à Toulouse ». On s'attend ensuite à une enquête sur ces réseaux salafistes, mais non, l'enquête « exclusive », c'était ça, joue à chercher les 400 salafistes dans cette foule à la sortie de la mosquée. Si, si, ils sont là, forcément.

Et puis, il y a Abdelghani Merah. Quelqu'un qui semble avoir beaucoup de choses à dire, un message à faire passer. Mais la parole d'Abdelghani est soigneusement sélectionnée, ce qui est intéressant, c'est juste qu'il répète que sa famille est une famille de salauds intégristes et violents, le reste , pourquoi Abdelghani est devenu autre chose que Mohammed, ce qu'il peut avoir de positif comme message à apporter, Enquête Exclusive s'en fout. L'important c'est qu'Abdelghani Merah sorte des photos de famille, et passe des coups de fil en caméra cachée à des gens qui ne savent et/ou ne disent rien.

Et puis voilà. Le reportage se termine sur les photos des victimes de Merah. Suivies de quelques phrases d'Abdelghani qui explique que sa mère l'a menacé de se suicider si le reportage était diffusé.

On se rappelle l'entrée en matière du reportage , où le journaliste expliquait que l'enquête « exclusive » avait comme objectif d'élucider une question : y-a-t-il d'autres Mohammed Merah dans la nature ?

Après une heure trente, on ne sait rien de plus sur les réseaux intégristes éventuellement existants, sur leur financement, sur les raisons pour lesquelles des militants comme celui qui était l'idéologue des frères Merah, qui ne cachent pas leur liens avec la sphère internationale de l'islam politique violent continuent à élever leurs ânes, pendant qu'on emmerde les jeunes en bas des halls de cité tous les matins.

On ne sait rien de plus sur la question fondamentale posée par l'affaire Merah : à savoir l'efficacité zéro d'une politique antiterroriste appuyée par des lois sans cesse durcies ces dernières années, par un discours sécuritaire justifiant tout au nom de la lutte contre le "péril islamiste", mais qui n'a même pas permis d'arrêter à temps un assassin même pas très prudent. On sait juste que certains flics, manifestement, n'ont pas hésité à vendre des documents sortis de la procédure judiciaire à Enquête Exclusive.

A la question «  y-a-t-il d'autres Mohammed Merah et comment les reconnaître », le téléspectateur est donc invité à répondre avec les éléments du reportage : en gros, les photos d'un petit garçon arabe , le témoignage de sa principale de collège parlant de ses bagarres violentes dans la cour de récré, les vidéos d'un ado qui fait le con en scooter sur un morceau de rap, la photo d'une jeune femme voilée et maquillée, qui sourit à l'objectif.

Bref, on a la réponse, non ?

Chacun la sienne : pour les uns, Merah était un jeune de cité musulman comme tant d'autres, tous des assassins antisémites en puissance.

Pour les autres, le reportage, vide de sens, plein d'incohérences et d'amalgames encouragera le recours aux thèses conspirationnistes fascistes.

Et puis, pour le Ministre de l'Intérieur, ce sera une enquête ouverte pour apologie du terrorisme contre la sœur de Merah, et annoncée par voie de presse, comme il se doit. Pour un travail sérieux sur la question de l'intégrisme et des réseaux qui propagent l'antisémitisme , on attendra, puisqu' Enquête Exclusive n'en a pas parlé.

On espère que Bernard de la Villardière est un excellent spécialiste de la lutte contre l'intégrisme, puisque c'est Enquête Exclusive qui impulse la stratégie à suivre dans ce domaine.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire