mardi 13 novembre 2012

Antisémitisme: rien de neuf sous le soleil des Fils de France


Selon l'immense majorité des commentateurs médiatiques, il y aurait un "nouvel " antisémitisme, pas du tout français , issu de l'islam des "caves et des banlieues", et qui n'aurait rien à voir avec l'antisémitisme traditionnel et ses réseaux d'extrême-droite.

Ceux qui affirment l'existence de ce « nouvel » antisémitisme le caractérisent selon deux critères : ce serait un antisémitisme issu des quartiers pauvres, d'une part, quartiers où s'exercerait d'autre part une influence « étrangère », matérialisée par les prêches d'imams radicaux de pays tiers et par la présence sur notre territoire de « salafistes » venus d'ailleurs.

Un fascisme du pauvre et de l'immigré en quelque sorte, que nos commentateurs prennent plaisir à opposer à la nécessaire construction d'un « islam de France », seul à même de rendre la raison à des jeunes barbares venus d'ailleurs.

«  Fils de France », c'est justement le nom d'une association se disant musulmane, montée il y a quelques mois, et qui , au regard de sa récente création , bénéficie d'un succès étourdissant, puisque son dernier colloque a été accueilli sous les ors du Sénat le 27 octobre.

Son fondateur Tarek Oubrou , imam de Bordeaux est devenu en quelques années une personne tout à fait bien accueillie dans tous les milieux : invité d'honneur de conférences données par des évèques, devenu très proche d'Alain Juppé, qui l'oppose aux vilains « salafistes », fréquemment invité à la télé, il fait partie de ces dignitaires religieux qu'on se plait à ériger en symboles de l'ouverture et de la tolérance, opposés aux « petites frappes islamistes de banlieue ».

Oubrou fut pourtant le premier imam à participer à une conférence co-organisée avec Alain Soral en 2009. Personne, même parmi les grands connaisseurs de l'islam invités dans les médias, tel Malek Chebel également participant au colloque qui fait l'objet de cet article, ne semble avoir lu une intéressante et récente interwiew d'Oubrou sur Garaudy, négationniste notoire, où celui-ci est qualifié de « grand intellectuel » , qui « recevra son mérite devant le Seigneur ». Oubrou, fin sophiste , y réfute tout négationnisme pour son compte personnel, mais affirme dans cet entretien que « toute discussion sur le sujet de la Shoah, scientifique et historique est interdite », en vertu d'un « tabou ».

Tarek Oubrou a d'autres admirateurs de Garaudy à qui parler au sein de Fils de France : pas des imams barbus venus d'ailleurs, non , mais notamment un chrétien bien de chez nous, le père Michel Lelong, parrain de l'association mis en valeur lors de sa réunion fondatrice . Catholique intégriste, Michel Lelong fut notamment témoin en faveur du préfet Papon à son proçès. Il a écrit de nombreux articles pour la revue à Contre-Nuit , le fan-club officiel de Garaudy, et figure aussi parmi les invités du centre Zahra, les co-animateurs de la liste antisémite de Dieudonné en 2009.

Aux côtés de ces deux penseurs religieux, l'animateur principal de Fils de France Camel Bechick ne fait pas non plus dans l'ambiguité concernant son militantisme à l'extrême-droite : Bechick était ainsi accrédité comme journaliste de Flash, la revue d'Alain Soral, pour le dernier congrès du FN.

La référence idéologique de Bechick, c'est Maurras, comme il l'explique dans un entretien donné à un site royaliste . Pas très nouveau, comme référence antisémite, Charles Maurras.

Mais le vieil antisémitisme est toujours une bonne manière de se faire ouvrir des portes , notamment au Sénat, pour un colloque ou plus, si affinités.

En effet, sans le soutien d'un élu de la République , pas question d'organiser quoi que ce soit au Sénat. L'élue en question qui a accueilli le colloque de Fils de France n'est pas une sénatrice élue avec les voix des infâmes de la banlieue, mais avec celle des habitants de l'Orne, département où l'on croise peu de cités « islamisées », convenons-en.
Centriste, actuellement élue sous les couleurs de l'UDI, Mme Goulet a bien des liens avec des personnalités de l'islam politique international, mais pas avec des terroristes recherchés par Interpol. Présidente du groupe amitié France-Turquie au Sénat, elle s'est faite la porte parole des opposants à la reconnaissance du génocide arménien et ne trouve à redire aux massacres en Syrie que depuis l'affrontement entre le gouvernement turc et Assad.
Fidèle alliée du régime iranien, elle est également présidente du groupe France-Pays du Golfe, et a rédigé un rapport officiel pour le Sénat , à propos de la coopération militaire entre la France et les Emirats Arabes Unis.

Depuis ce colloque très officiel , Fils de France a croisé la route d'un autre membre de l'UDI, et pas n'importe lequel : c'est notamment avec Charles Beigdeber, ex-candidat à la présidence du MEDEF, secrétaire de l'UMP , grand patron reconnu, que l'association d'Oubrou et de Bechick organise une manifestation contre le droit au mariage pour tous le 17 novembre

Parmi les organisateurs, on retrouve trois autres députés de l'UMP, dont Jacques Myard, membre de la Droite Populaire et opposant historique aux lois anti-négationnistes et protégeant les victimes de crime contre l'humanité, de la loi Gayssot à la loi contre la négation du génocide arménien.
On croise également un animateur des Grosses Têtes, Perroni et un chroniqueur de Marianne, Roland Hureaux, souverainiste ne cachant pas ses sympathies pour Nicolas Dupont-Aignant...qui fut invité d'honneur de la réunion fondatrice de Fils de France.

La petite association de l'imam de Bordeaux, Tarek Oubrou a donc réussi le tour de force de réunir autour d'elle des élus de droite, des journalistes reconnus ou des grands patrons, et de se faire ouvrir les portes du Sénat en quelques mois d'existence, et ce malgré les proximités affichées de ses initiateurs avec l'extrême-droite la plus antisémite qui soit.

A la réunion inaugurale de Fils de France, on croisait même Robert Ménard, qui a renvoyé l'ascenseur à Camel Bechick en l'invitant à son émission sur RMC.

On cherchera en vain quelque protestation de la part des pourfendeurs du « nouvel antisémitisme », toujours prompts à dénoncer l'islam des caves importé d'ailleurs, toujours prompts à pointer du doigt le musulman pauvre ou immigré.


Il faut dire que Fils de France a un atout très utile dans la France des années 2010 : voilà des musulmans qui se revendiquent patriotes, anti-immigration, anti-progressistes, et surtout pas de gauche. De bons français, comme les aimait leur maître à penser Maurras, cette figure historique du vieil antisémitisme, qui a toujours eu droit de cité au sein de la bourgeoisie française.  

Autour de Fils de France, alliance de notables de droite connus pour leurs positions racistes avec l'extrême-droite antisémite, et les secteurs les plus réactionnaires de l'islam se fait tout à fait tranquillement au plus haut niveau de la République et sans être dénoncée. Bien au contraire, les partenaires de cette alliance utilisent eux_même la théorie du "nouvel antisémitisme" pour nier le leur, qui n'est que la continuité d'une longue tradition européenne.

Et à l'extérieur de cette alliance, les voix de gauche qui n'ont de cesse, elles aussi, d'affirmer que le péril antisémite ne vient que d'en bas et que de l'étranger participent à la négation d'un phénomène d'institutionnalisation du fascisme porté par une partie de la bourgeoisie.

Enquête Exclusive: Itinéraire d'un voyeurisme français



D'habitude, on en rigole d'Enquête Exclusive, de ses plongées avec la BAC contre les cambriolages ou dans le monde de la nuit des jet setteurs.

Là, on ne rigole plus.

On regarde halluciné, les photos de Merah, bébé, puis enfant défiler, puis une vidéo où il est à l'hôpital venu voir son père qu'on montre sur son lit. Et puis un classeur où Merah, jeune ado, écrivait des trucs sur les american-staff, des chiens qu'il adorait.

C'est quoi l'info , c'est quoi le message ? Qu'on doit surveiller les gamins dès l'âge de trois ans, l'islamiste est-il censé se révéler dans le regard du bébé qui rigole ?

On apprend que Merah était un gosse battu , un gosse de foyer. 10% des enfants en France sont victimes de maltraitance psychologique ou physique, selon une chercheuse de l'INSERM. Alors quoi ?

Dix fois, quinze fois, la photo de Souad Merah, qui sourit, voilée. A toi de trouver les stigmates du mal sur la photo.

Caméra cachée d'une jeune femme pleine de haine antisémite, qui hurle qu'elle est fière de son frère. C'est à peu près tout ce qu'on entendra de la discussion, et ce sera pareil avec les autres « salafistes » filmés en caméra cachée. Jamais plus d'une minute , même pour Olivier Corel, idéologue intégriste, dont on apprendra qu'il élève des chèvres et des ânes, et qu'il a « francisé » son nom. Du lourd, c'était bien la peine de faire une caméra cachée.

Le fond de l'affaire ? Attention Enquête Exclusive a des documents « inédits » à présenter, dont le testament écrit à la main de cinq pages de Merah. Mais de ce testament, le téléspectateur aura le droit à trois lignes, où il dit à Sarkozy qu'il sera puni pour ses crimes. Le reste, on n'en connaîtra rien, ou alors il faudra attendre , sans doute, qu'Enquête Exclusive ait revendu son exclu à Morandini où à Médiapart.

Ah oui, on apprend aussi que Merah s'est radicalisé en prison. La « preuve », il aurait simulé sa tentative de suicide, c'est ce qu'il a dit à sa mère qui était venue le voir à l'hôpital, « un bon musulman ne se suicide pas ». Ben oui, s'il n'avait pas déjà été un djihadiste, il aurait dit à sa mère « maman, je voulais crever », c'est évident.

Mais, qu'est ce que signifie concrètement se radicaliser en prison ? L'enquête policière en effet n'a pas démontré que Merah ait rencontré des militants derrière les barreaux, simplement qu'il s'est effectivement réfugié dans la croyance et la pratique religieuse, et qu'il avait déjà, de lui même, des discours de haine et des fantasmes de meurtres. Comment en vient-on au projet concret et réel ? Enquête Exclusive n'y répond que par l'influence du frère Kader. Mais le frère, alors , comment lui-même en était-il arrivé là ?

Pas de réponse. On apprend simplement que Merah a financé ses voyages en vendant une BMW qu'il avait retapé...pour entendre le journaliste demander dix minutes plus tard «  comment a-t-il financé ses voyages ? ». Ça, c'est une vraie question. Parce qu'on ne finance pas des voyages multiples de plusieurs mois en vendant une voiture, pas plus qu'on n'achète des armes , qu'on ne loue un appart dans un quartier résidentiel , et qu'on vit apparemment très bien juste avec un RSA. Cela ça s'appelle une logistique.

A un moment, visite à une mosquée, celle où Merah allait prier. Alors on se dit qu'enfin, on va avoir la réponse sur la radicalisation effective et les moyens du passage à l'acte, qu'on va avoir des éléments sur les groupes salafistes où Merah évoluait avec son frère.

Attention, c'est chaud, alors le journaliste filme de loin au zoom, des musulmans qui prient, avec gros plan sur des jeunes en djellaba blanche et dont on voit la barbe, malgré le visage flouté, la voix off dit «  il y a 400 salafistes à Toulouse ». On s'attend ensuite à une enquête sur ces réseaux salafistes, mais non, l'enquête « exclusive », c'était ça, joue à chercher les 400 salafistes dans cette foule à la sortie de la mosquée. Si, si, ils sont là, forcément.

Et puis, il y a Abdelghani Merah. Quelqu'un qui semble avoir beaucoup de choses à dire, un message à faire passer. Mais la parole d'Abdelghani est soigneusement sélectionnée, ce qui est intéressant, c'est juste qu'il répète que sa famille est une famille de salauds intégristes et violents, le reste , pourquoi Abdelghani est devenu autre chose que Mohammed, ce qu'il peut avoir de positif comme message à apporter, Enquête Exclusive s'en fout. L'important c'est qu'Abdelghani Merah sorte des photos de famille, et passe des coups de fil en caméra cachée à des gens qui ne savent et/ou ne disent rien.

Et puis voilà. Le reportage se termine sur les photos des victimes de Merah. Suivies de quelques phrases d'Abdelghani qui explique que sa mère l'a menacé de se suicider si le reportage était diffusé.

On se rappelle l'entrée en matière du reportage , où le journaliste expliquait que l'enquête « exclusive » avait comme objectif d'élucider une question : y-a-t-il d'autres Mohammed Merah dans la nature ?

Après une heure trente, on ne sait rien de plus sur les réseaux intégristes éventuellement existants, sur leur financement, sur les raisons pour lesquelles des militants comme celui qui était l'idéologue des frères Merah, qui ne cachent pas leur liens avec la sphère internationale de l'islam politique violent continuent à élever leurs ânes, pendant qu'on emmerde les jeunes en bas des halls de cité tous les matins.

On ne sait rien de plus sur la question fondamentale posée par l'affaire Merah : à savoir l'efficacité zéro d'une politique antiterroriste appuyée par des lois sans cesse durcies ces dernières années, par un discours sécuritaire justifiant tout au nom de la lutte contre le "péril islamiste", mais qui n'a même pas permis d'arrêter à temps un assassin même pas très prudent. On sait juste que certains flics, manifestement, n'ont pas hésité à vendre des documents sortis de la procédure judiciaire à Enquête Exclusive.

A la question «  y-a-t-il d'autres Mohammed Merah et comment les reconnaître », le téléspectateur est donc invité à répondre avec les éléments du reportage : en gros, les photos d'un petit garçon arabe , le témoignage de sa principale de collège parlant de ses bagarres violentes dans la cour de récré, les vidéos d'un ado qui fait le con en scooter sur un morceau de rap, la photo d'une jeune femme voilée et maquillée, qui sourit à l'objectif.

Bref, on a la réponse, non ?

Chacun la sienne : pour les uns, Merah était un jeune de cité musulman comme tant d'autres, tous des assassins antisémites en puissance.

Pour les autres, le reportage, vide de sens, plein d'incohérences et d'amalgames encouragera le recours aux thèses conspirationnistes fascistes.

Et puis, pour le Ministre de l'Intérieur, ce sera une enquête ouverte pour apologie du terrorisme contre la sœur de Merah, et annoncée par voie de presse, comme il se doit. Pour un travail sérieux sur la question de l'intégrisme et des réseaux qui propagent l'antisémitisme , on attendra, puisqu' Enquête Exclusive n'en a pas parlé.

On espère que Bernard de la Villardière est un excellent spécialiste de la lutte contre l'intégrisme, puisque c'est Enquête Exclusive qui impulse la stratégie à suivre dans ce domaine.